ENTOMOLOGIE AGRICOLE

ENTOMOLOGIE AGRICOLE
ENTOMOLOGIE AGRICOLE

L’entomologie agricole a pour objet l’étude des insectes qui, par leurs dégâts ou leur pullulation, portent préjudice aux productions végétales de l’homme. Son champ d’action peut s’étendre aussi à l’étude des insectes parasites du bétail, mais cette spécialité ressort plutôt de la parasitologie vétérinaire. Aussi l’entomologie agricole est-elle le plus souvent limitée aux insectes des cultures; elle constitue donc l’une des branches du secteur phytosanitaire étroitement associée à la pathologie agricole et à la malherbologie qui poursuivent le même but. En raison des intérêts économiques considérables qui sont mis en jeu, l’entomologie agricole est donc l’une des branches les plus importantes de la biologie appliquée. Elle nécessite avant tout l’observation des insectes qui s’attaquent directement aux végétaux cultivés, mais elle a également pour objet l’étude des insectes nuisibles aux forêts, aux bois d’œuvre ou aux denrées entreposées. Afin de conjurer le danger que représentent de tels ravageurs, l’entomologiste agricole est amené à étudier le cycle évolutif de l’insecte, sa fécondité, son comportement, ses rapports avec les végétaux qui l’hébergent, ses ennemis naturels, sa sensibilité aux pesticides; il doit, en un mot, rechercher les moyens les plus efficaces et les plus économiques susceptibles de limiter leurs dégâts, sans rompre l’équilibre biologique des espèces et sans polluer à l’excès le milieu naturel. Pour obtenir ce résultat, il devra faire appel à de nombreuses disciplines: anatomie, éthologie, physiologie, génétique, toxicologie... de telle sorte que la lutte contre les insectes nuisibles ne peut guère se faire aujourd’hui sans l’aide de centres d’études pourvus de puissants moyens.

1. Étude des insectes nuisibles et de leurs dégâts

Identification

Lorsque les dégâts d’un ravageur sont signalés à son attention, l’entomologiste agricole doit en premier lieu déterminer, parmi l’innombrable cohorte des insectes qui vivent aux dépens du végétal, l’espèce responsable du préjudice. Ce travail d’identification est plus difficile et plus délicat qu’on pourrait le penser, car les différences morphologiques sont souvent ténues entre des espèces voisines dont le comportement se révèle très différent à la suite d’études approfondies. Aussi, jamais la description n’est-elle trop précise, et la minutie qu’apportent les morphologistes dans leur diagnose ne doit pas être considérée comme détails inutiles satisfaisant la passion de spécialistes maniaques. Les tordeuses du pommier par exemple, qui détruisent les pousses terminales des arbres fruitiers, comprennent une dizaine d’espèces très voisines, dont les chenilles, difficiles à distinguer les unes des autres, ne diffèrent que par des détails infimes. Elles se répartissent cependant en deux ensembles qui ont une biologie différente: le groupe Capua hiverne à l’état de toutes petites chenilles qui se tiennent dans un cocon soyeux; le groupe Cacoecia hiverne à l’état d’œufs (ooplaques). Au printemps donc, au moment de la floraison, les chenilles du second groupe sont plus en retard que celles du premier, et il faut tenir compte de ce facteur pour la date des traitements.

L’entomologiste doit ensuite déterminer avec exactitude le cycle évolutif de l’insecte, le nombre de générations annuelles, le stade d’hivernage, la fécondité des femelles qui sont autant d’éléments conditionnant la nature et l’importance des dégâts, ainsi que les époques les plus appropriées pour l’application des pesticides. Bien souvent, il doit élever le ravageur en laboratoire, afin de mieux étudier sa physiologie et son comportement. C’est ainsi plus de cent espèces d’insectes sont maintenues en élevage permanent dans les laboratoires de l’Institut national de la recherche agronomique et presque autant fait l’objet d’élevages saisonniers. Ces élevages peuvent se faire sur milieu naturel ou artificiel (pucerons).

Dégâts sur les plantes cultivées

Les dégâts que les insectes font subir aux plantes cultivées sont extrêmement variés; les plus apparents ne sont pas toujours les plus graves.

Les défoliateurs s’attaquent directement au feuillage, qu’ils consomment, détruisant ainsi cultures et forêts; telles sont les chenilles de Lépidoptères, qui s’attaquent aux arbres fruitiers ou forestiers, les Coléoptères, les criquets... Mais les dégâts sont parfois plus insidieux. Les chenilles «mineuses» vivent au milieu du parenchyme foliaire entre les deux épidermes, qu’elles respectent; les «tordeuses» vivent à l’intérieur des jeunes pousses, qu’elles déforment et qu’elles font périr. Tous ces insectes, qui vivent à l’intérieur même des tissus végétaux, sont extrêmement difficiles à détruire. La pyrale du maïs, qui vit dans la moelle des tiges de maïs, est à l’abri de presque tous les moyens de lutte. D’autres insectes s’attaquent aux racines (vers blancs, taupins, chenilles de noctuelles, etc.), aux fleurs (l’anthonome du pommier) ou aux fruits, comme la carpocapse (dont les chenilles correspondent aux vers des pommes), la mouche des cerises (Rhagoletis cerasi ) ou celle des fruits (Ceratitis capritata ), dont les asticots causent des dégâts irréparables. À l’intérieur des troncs vivent les innombrables insectes xylophages ; certains d’entre eux vivent dans le bois lui-même (chenilles de Cossus ), d’autres se cantonnent dans l’aubier, dans lequel se développe l’enchevêtrement de leurs galeries (Scolytides, Bostriches, etc.). Mais les plus pernicieux sont sans doute les suceurs de sève: punaises, cochenilles, pucerons qui, malgré leur petite taille, affaiblissent la plante à cause de leur intense pullulation qui se poursuit sans interruption durant la belle saison, grâce à leur reproduction par parthénogenèse.

Les pucerons (ou Aphidiens) affaiblissent en effet la plante en prélevant continuellement la sève élaborée; mais ils peuvent aussi provoquer des déformations du végétal: enroulement des feuilles, torsion du rameau, galles (ou cécidies ) diverses. Mais leurs dégâts sont parfois indirects. Leurs excrétats s’écoulent en effet sous forme d’un liquide sucré qui recouvre les feuilles et sur lequel se développent des champignons microscopiques appelés «fumagines», qui transforment l’épiderme de la feuille en une surface gluante, infestée de moisissures empêchant les échanges respiratoires du végétal.

Mais les pucerons sont encore plus nuisibles comme vecteurs des maladies à virus, qu’ils inoculent aux plantes à l’occasion de leurs piqûres. Le puceron vert du pêcher (Myzus persicae ) par exemple, extrêmement polyphage, peut transmettre à lui seul la mosaïque et la jaunisse de la betterave, la mosaïque de la pomme de terre, celle du concombre, du haricot, du pois, de la laitue et de la luzerne. Il transmet également la maladie de Sharka, maladie des arbres fruitiers à noyaux.

Estimation et dynamique des populations

Ainsi les dégâts ne sont-ils nullement proportionnels à la taille du ravageur. Ils sont liés à l’importance de la population. Pour cette raison, l’évaluation des populations de ravageurs revêt la plus grande importance. Pour chaque espèce, il convient d’établir le seuil de tolérance économique au-delà duquel l’intervention s’impose. Il convient donc de mettre au point des méthodes d’estimation de la population. Ces méthodes varient selon les espèces et selon le stade du cycle évolutif que l’on veut contrôler; la plus directe est l’observation par contrôle visuel, que l’on fait après avoir défini avec précision des normes conventionnelles (comptage des ravageurs sur une longueur donnée de rameau, par exemple). On utilise également le piégeage, qui revêt les aspects les plus variés. Dans le cas d’insectes ailés (comme les papillons), on peut attirer les adultes par des liquides sucrés ou, mieux, par les substances volatiles sexuelles produites par les femelles, désignées sous le nom de «phéromones», qui sont aujourd’hui bien connues, souvent même produites par synthèse, et qui attirent irrémédiablement les mâles de la même espèce. Lorsqu’il s’agit de larves (chenilles du carpocapse, par exemple), on peut utiliser des bandes-pièges enduites de substances gluantes posées sur les troncs des arbres fruitiers, qui retiennent les insectes au moment de leur déplacement. Ces piégeages, poursuivis dans le temps, permettent de suivre avec exactitude la dynamique des populations et de prévoir en temps opportun le moment où sera dépassé le seuil de nuisibilité, et où l’intervention active sera nécessaire. Il convient également de déterminer si l’espèce est sédentaire ou migrante, et on a parfois été surpris de constater que certains papillons nuisibles (noctuelles) accomplissent des migrations orientées à des époques déterminées, qui mettent en échec toutes les prévisions basées sur l’observation des seules populations indigènes.

Étude de l’environnement

Il convient également d’étudier les rapports des insectes avec le milieu cultivé et l’environnement spontané ou artificiel qui peut intervenir dans le cycle évolutif du ravageur, en jouant le rôle de «station refuge» qui maintient en permanence des foyers de ravageurs toujours prêts à envahir les cultures voisines. C’est ainsi que les punaises des céréales, qui autrefois trouvaient abri dans les haies et boqueteaux, ont aujourd’hui disparu de nos cultures après les opérations de remembrement qui ont entraîné la disparition presque totale de cette végétation sauvage. Mais, si la suppression de bosquets et garennes a eu quelques conséquences utiles, elle a eu bien plus souvent des effets négatifs, car la végétation sauvage, même si elle sert de réservoir à un insecte nuisible, héberge en réalité toute une faune complexe qu’il faut savoir utiliser. Un exemple particulièrement spectaculaire est fourni par la mouche du melon (Dacus cucurbitae ), qui faisait des ravages importants aux îles Hawaii. Or, cet insecte se réfugie dans la journée sur la végétation spontanée des lisières des cultures, et on a obtenu une très bonne protection des cultures de melon en traitant uniquement cette végétation marginale. Mais, le plus souvent, les plantes sauvages sont utiles parce qu’elles servent d’abri temporaire à des insectes utiles. Un exemple a été donné par Silvestri (1948) à propos de la mouche de l’olive (Dacus oleae ). En Italie, cette espèce est tenue en échec par un parasite des œufs de Dacus: Prolasioptera berlesiana . Mais cet insecte ne parasite la mouche que de juin à octobre. Pendant le reste de l’année, il vit aux dépens d’œufs d’insectes s’attaquant à une plante sauvage méditerranéenne, le lentisque (Pistacia lentiscus ), sans intérêt agronomique. Or, la destruction de cette plante par la suppression des haies ou terrains vagues a entraîné la mort de ces parasites bienfaisants et a provoqué une recrudescence de l’infestation de la mouche de l’olive.

Jourdheuil (1961) a montré que les sanves (herbes sauvages) sont des réservoirs pour les parasites de Melighetes , qui sont des Coléoptères très nuisibles aux cultures de colza.

En général, les haies sont des réservoirs qui maintiennent sur place la présence des parasites utiles dont les populations ont normalement tendance à baisser ou à disparaître lorsque leur propre action a entraîné la quasi-disparition du ravageur. L’insecte nuisible réapparaît en effet beaucoup plus vite que ses parasites. Si ces derniers se trouvent en réserve sur les plantes sauvages des haies avoisinantes, ils interviendront plus rapidement et maintiendront le ravageur dans des limites raisonnables. Parfois même, le rôle des plantes sauvages se borne à augmenter la durée de survie des adultes des Hyménoptères, parasites nuisibles car ils se nourrissent seulement de miellats et meurent très vite s’ils n’en ont pas à leur disposition. Aussi, afin de leur assurer une longévité et une fécondité plus grandes, leur fournit-on des plantes nectarifères. Par exemple, on plante dans les vergers des Ombellifères et des Légumineuses pour favoriser le maintien et la multiplication des Agenias pis , parasites de l’Hyponomeute, et des Aphytis , parasites des Cochenilles Diaspines. Ces quelques exemples montrent la complexité des relations qui s’établissent entre les ravageurs, leurs parasites et la faune sauvage que l’entomologiste agricole doit surveiller avec le plus grand soin afin d’en tirer le meilleur parti. Toutes ces études ne peuvent être poursuivies par les agriculteurs. Elles sont confiées aux laboratoires de recherche agronomique. L’observation de l’évolution des populations d’insectes dans une région donnée est assurée par les stations d’avertissements agricoles qui indiquent aux agriculteurs le moment le plus propice pour les divers traitements.

2. Méthodes de lutte

Historique: les premiers travaux

Le souci de lutter contre les insectes est apparu à la fin du siècle dernier, lorsque deux facteurs complémentaires ont rendu cette lutte nécessaire:

– l’augmentation des surfaces cultivées et l’extension de la monoculture qui favorisent la pullulation des parasites;

– le développement des échanges commerciaux qui ont permis l’introduction de ravageurs nouveaux tels que la cochenille australienne (Icerya purchasi ), qui menaça de faire disparaître les cultures de Citrus de Californie, avant d’envahir l’Europe, le phylloxéra, venu d’Amérique, qui décima le vignoble français, le puceron lanigère, venu également d’Amérique et qui s’attaque aux pommiers, le doryphore de la pomme de terre, le pou de San José des arbres fruitiers (Cochenille Diaspine), etc. De telles invasions peuvent se reproduire, et certaines espèces particulièrement prolifiques sont étroitement surveillées; le petit hanneton du Japon (Popilia Japonica ), l’écaille fileuse Hyphantria cunea d’Europe centrale.

À l’époque des premières invasions, les insecticides étaient peu nombreux et sans efficacité. Aussi, pour lutter contre de tels ravageurs, la première idée des biologistes fut-elle d’importer leurs parasites naturels, et les premiers résultats furent spectaculaires. Pour lutter contre la cochenille australienne, il a suffi de trois envois d’une centaine de coccinelles (Novius cardinalis ) pour rétablir l’équilibre aux États-Unis, et le même résultat fut obtenu en France. L. O. Howard aux États-Unis, P. Marchal en France obtinrent ainsi des résultats remarquables. En France par exemple, l’école de P. Marchal introduisit le minuscule Hyménoptère Aphelinus mali pour lutter contre le puceron lanigère et le répandit avec succès sur tout le territoire. Puis, de façon paradoxale, les essais ultérieurs tentés par d’autres entomologistes se soldèrent par des échecs. Rien n’entrava, à ses débuts, l’invasion du doryphore.

L’avènement des insecticides organiques de synthèse

Après la Seconde Guerre mondiale, la découverte des insecticides organiques de synthèse (D.D.T., H.C.H.) a complètement modifié le problème. On disposait désormais de produits d’un faible prix de revient, d’un emploi facile, qui semblaient pouvoir s’opposer à la pullulation de tous les ravageurs. À ce moment, la lutte biologique apparut comme une méthode élégante et gratuite, mais incapable d’assurer des résultats immédiats et complets. Hélas, ces insecticides nouveaux furent utilisés de façon tellement intensive et même abusive que leur insuffisance et leurs inconvénients sont vite apparus.

Insuffisance et inconvénients des insecticides de synthèse

La résistance

On s’est tout d’abord aperçu que ces produits perdaient de leur efficacité, parce que les insectes résistent actuellement mieux à ces produits qu’au début de leur utilisation. Le nombre des espèces résistantes augmentait chaque année. On en comptait 55 en 1960, plus de 200 en 1970, 430 en 1980 pour la seule entomologie agricole (il faut leur ajouter la plupart des insectes hématophages). La résistance reste un phénomène à l’étude, qui ne consiste pas uniquement en la sélection de lignées génétiquement résistantes. Il semble bien y avoir en plus une adaptation physiologique (qu’une lignée peut d’ailleurs perdre).

La persistance des insecticides

L’une des principales qualités des insecticides organochlorés (D.D.T., H.C.H.) était leur absence de toxicité vis-à-vis de l’homme et des animaux, et cette qualité est réelle car on ne peut imputer à ces produits aucun accident. Mais on s’est aperçu que ces produits ne sont pas dégradés et qu’ils subissent une concentration successive au cours de la «chaîne alimentaire» [cf. PESTICIDES].

Aussi, en raison des quantités énormes d’insecticides déversés chaque année dans nos campagnes, a-t-on été amené à limiter l’emploi de ces produits, dont l’efficacité avait par ailleurs singulièrement diminué. C’est ainsi que le D.D.T. est interdit en France dans nos emplois agricoles et dans la plupart des pays européens et que le H.C.H., ou lindane, voit son emploi très limité. On a préféré des produits plus toxiques, les organophosphorés tels que le Parathion qui ont l’avantage d’être rapidement dégradés et sont donc moins persistants. Les sulfones et sulfonates sont destructeurs des acariens, les dérivés de l’acide carbonique sont des fongicides et herbicides.

Action indirecte sur les équilibres biologiques

Mais le plus gros inconvénient de tous ces produits chimiques est leur manque de spécificité. Ils tuent à peu près tout ce qui vit, et entre autres tous les insectes utiles (coccinelles, Syrphides, Hyménoptères parasites). Ils ont aussi des actions indirectes souvent imprévues, dont la plus curieuse est la «substitution de faune». Le ravageur, en disparaissant, laisse en effet une place écologique vide. Il est immédiatement remplacé par un autre ravageur, souvent encore plus résistant et plus difficile à combattre. En Espagne, par exemple, le traitement répété des chenilles de Lymantria dispar qui ravageaient une forêt de chênes-lièges a entraîné le développement d’une «tordeuse» (Tortrix viridana ) bien plus difficile à combattre. Le traitement intensif de la mouche de l’olive (Dacus oleae ) a pour conséquence la pullulation de la cochenille de l’olivier (Saissetia oleae ), qui prend sa place. Enfin, les traitements répétés des vignes par le D.D.T. ou le Parathion a eu pour conséquence l’apparition de nouveaux ravageurs (jusque-là inoffensifs): les araignées rouges, ou tétranyques.

Mais la conséquence la plus grave des traitements abusifs est que le ravageur lui-même revient en force après un certain temps, et que cette nouvelle attaque est bien plus forte que la première. Elle est due le plus souvent à la disparition de ses ennemis naturels. Il faut d’ailleurs remarquer que cette disparition ne résulte pas obligatoirement du traitement lui-même, car, même s’ils n’ont pas été atteints, les ennemis naturels ne peuvent plus subsister puisque les ravageurs qui leur servaient d’hôtes ont disparu. On pourrait citer de nombreux abus de la lutte chimique dont les conséquences ont été néfastes. Aucun règlement ne limite les traitements pesticides sur le coton, production non comestible de fibres textiles. Aussi la lutte chimique a-t-elle pris parfois des proportions démentielles; on a assisté aux États-Unis à plus de quarante traitements annuels. Au Pérou (vallée du Cañete), on était arrivé à une pulvérisation d’insecticides tous les trois jours, avec pour seul résultat d’augmenter le nombre des espèces nuisibles et une baisse de rendement.

Il est admis par les entomologistes agricoles que l’emploi de pesticides chimiques (ou plutôt leur abus) n’est pas souhaitable à cause de leurs inconvénients. Ils sont de moins en moins efficaces (résistance), ils sont trop stables et polluent, ils ne sont pas assez spécifiques et détruisent toute la faune. Ils sont donc nuisibles aux équilibres naturels.

La lutte intégrée

Aussi, aujourd’hui, les entomologistes sont-ils tous d’accord pour admettre qu’il convient d’abandonner la pratique des traitements aveugles et d’établir les interventions phytosanitaires sur des bases plus rationnelles, en ne négligeant aucun des facteurs en présence. C’est ainsi qu’est né le concept de «lutte intégrée», qui associe les méthodes chimiques et biologiques. Cette doctrine recommande l’utilisation de toutes les méthodes disponibles de manière compatible entre elles, en tenant compte de l’ensemble des éléments de l’écosystème et en cherchant à maintenir les populations d’organismes nuisibles au-dessous du seuil des dégâts économiques.

Cette méthode limite la lutte chimique aux seules interventions indispensables, judicieusement réparties dans le temps; elle s’appuie sur les façons culturales (assolements, fertilisation, choix judicieux des cultures), sur le choix des variétés et des portes-greffes les plus résistants aux attaques, sur les diverses techniques de lutte biologique, et elle respectera au maximum l’environnement. La lutte intégrée nécessite donc de nombreuses études préalables dans lesquelles sont associés entomologistes, écologistes, généticiens agronomes...

Les méthodes naturelles, perspectives d’avenir

Aussi les études menées dans les laboratoires de recherche portent-elles aujourd’hui sur les méthodes naturelles, que l’on s’efforce de développer au maximum. Il est difficile de dire lesquelles sont promises au plus grand avenir.

Les façons culturales, la résistance naturelle des plantes

Ce sont les méthodes les plus séduisantes. Malheureusement, la recherche de variétés résistantes se fait parfois au détriment de la qualité de la production.

La lutte biologique

C’est l’utilisation, orientée par l’homme, de la «régulation naturelle» qui stabilise l’accroissement des populations d’insectes. La lutte biologique est une méthode particulièrement élégante qui, outre les résultats spectaculaires du début du siècle signalés plus haut, a obtenu de beaux succès. L’O.I.L.B. (Organisation internationale de lutte biologique) a ainsi acclimaté en France Prospatella perniciosi , parasite du pou de San José, ennemi des arbres fruitiers. Une opération du même ordre est en cours contre un Aleurode des agrumes (Aleurothrixus floccosus ), originaire d’Amérique centrale et du Sud, récemment introduit simultanément en Espagne et sur la Côte d’Azur française. L’importation d’un Hyménoptère parasite, Cales noaki , en provenance du Chili, a permis de faire régresser de façon spectaculaire les pullulations de l’Aleurode de la Côte d’Azur. Dans les pays d’outre-mer, les chercheurs français ont également réussi quelques opérations importantes, comme l’acclimatation des Tachinaires, mouches parasites des chenilles mineuses d’Hyménoptères (Apanteles sesaminae , Pediotius furvus ), s’attaquant aux mêmes types de ravageurs à Madagascar et à la Réunion. Citons aussi le succès de la lutte contre une cochenille des cocotiers (Aspidiotus destructor ), dans le Pacifique, et l’acclimatation en Mauritanie d’une variété de coccinelle (Chilocorus bipustulatus ) originaire d’Iran, qui a permis de mettre fin aux dégâts de la cochenille Parlatoria blanchardi dans les palmeraies de l’Adrar. Mais la lutte biologique ne se borne pas à introduire dans un pays un parasite et à le laisser se multiplier dans la nature. Les entomologistes ont mis au point des méthodes d’élevage de ces précieux auxiliaires de l’agriculture, de façon à en avoir en abondance et à les lâcher aux endroits où leur présence est nécessaire. Ces élevages doivent se faire sur le ravageur, lui-même tributaire du végétal. Aussi cette opération nécessite-t-elle une organisation importante et un personnel abondant. Pour plus de commodité, on a parfois réussi à remplacer l’hôte normal de l’entomophage par d’autres insectes de production ou de manipulation plus faciles, appelés hôtes de remplacement. C’est ainsi que la teigne de la farine (Anaegasta kuhniella ), l’alucite des céréales (Sitotroga cerealella ), la teigne des ruches (Galleria melonella ) se sont avérées particulièrement précieuses et ont servi à élever des auxiliaires qui ne les attaquent jamais dans la nature. Un autre progrès extrêmement important a été la mise au point de milieux nutritifs artificiels pour la nourriture des insectes phytophages; on peut actuellement produire des masses de chenilles de nombreuses espèces de Lépidoptères sans avoir à utiliser des végétaux. Souvent, hôtes de remplacement et milieu artificiel sont conjointement employés pour élever les entomophages. Par exemple, la mouche des fruits qui sert d’hôte de laboratoire pour la multiplication du braconide Opius concolor , parasite de la mouche de l’olive, a d’abord été élevée sur un milieu à base de poudre de carotte, qui a été remplacée par les chercheurs italiens de Palerme par de la farine de luzerne, beaucoup moins coûteuse. Dans ces conditions, il a été possible de produire en une saison plusieurs millions d’opius et de les employer dans la nature avec un résultat pratique comparable à celui des insecticides, avec un prix de revient inférieur. De leur côté, les entomologistes soviétiques ont mis au point des usines entièrement automatiques dans lesquelles un seul technicien peut obtenir une production journalière de 30 millions de trichogrammes, minuscules Hyménoptères qui parasitent les œufs de nombreuses espèces nuisibles. Les «usines à trichogrammes» ont permis de traiter des millions d’hectares de cultures. Aux États-Unis, des sociétés privées ou des organismes professionnels ont également créé des insectariums spécialisés dans la production des entomophages.

La lutte microbiologique

L’utilisation des maladies microbiennes ou à virus des insectes a été envisagée depuis fort longtemps (F. H. d’Herelle, A. Paillot), mais les résultats ont été longtemps décevants. Le Bacillus thuringiensis a été étudié sur le plan industriel et on en a tiré un premier insecticide bactérien, commercialisé en France, en Allemagne, en ex-U.R.S.S. [cf. LUTTE BIOLOGIQUE]. La préparation de spores bactériennes de cette espèce a donné de bons résultats dans la lutte contre les chenilles polyphages.

Les maladies à virus des insectes, dites «polyédries» parce qu’elles déterminent la formation de cristalloïdes dans le sang et les tissus de l’insecte, ont été également utilisées. Le Smithiavirus pithocampa des chenilles de Lépidoptères a été utilisé par pulvérisation dans la lutte contre les chenilles processionnaires du pin sur le mont Ventoux.

Certains champignons, tels que les Beauveria et Metarhizium , pourraient également être utilisés dans la lutte contre les larves terricoles (vers blancs, par exemple). La haute spécificité d’action de ces micro-organismes constitue un avantage considérable sur les insecticides classiques, car ils ne peuvent atteindre que les ravageurs eux-mêmes. Leurs parasites y sont généralement insensibles, ainsi que les autres animaux.

La lutte autocide

L’insecte lui-même peut être utilisé comme facteur de sa propre destruction: ce résultat est obtenu par stérilisation des mâles, obtenue par irradiation. Ces mâles stériles sont introduits dans une population naturelle, en nombre supérieur à celui des mâles normaux. Il en résulte une diminution du nombre des œufs fertiles pondus. Des résultats spectaculaires ont été obtenus contre la mouche du bétail, Cochliomya hominivorax . En Floride, l’opération, qui a duré dix-sept mois, a nécessité l’installation d’une véritable usine de production et de stérilisation des mâles (50 millions par semaine). Elle a coûté 10 millions de dollars, somme inférieure à l’équivalent d’une année de perte. Plus récemment (1991), la même méthode a permis d’éradiquer ce parasite du bétail en Libye. Un fait essentiel explique ces succès: les femelles ne s’accouplent qu’une seule fois, et cette particularité, assez rare chez les insectes, a été la source principale d’un succès qu’on n’a pas obtenu chez d’autres espèces. On a aussi proposé de transmettre par la même méthode des gènes létaux ou de produire la stérilisation par voie chimique, en utilisant conjointement des substances stérilisantes (radiomimétiques, antimétabolites, etc.) et des attractifs alimentaires ou sexuels. Des pièges, renfermant un composé attractif associé à un stérilisant, devraient résoudre de façon économique le problème de l’élevage et de la stérilisation des mâles, mais cette méthode a l’inconvénient de répandre partout des substances hautement toxiques pour l’homme (souvent cancérigènes), et on se demande s’ils ne provoqueraient pas à la longue une pollution plus pernicieuse que celle qu’on veut combattre.

Les hormones de croissance

De grands espoirs ont également été fondés sur l’utilisation de l’hormone juvénile, dont l’absorption à un moment inopportun de la vie de l’insecte peut compromettre sa croissance et sa reproduction. L’hormone juvénile a en outre l’avantage d’être hautement spécifique, de n’être toxique pour aucun autre animal et d’agir par simple contact. La résistance à un tel composé paraît difficile à acquérir. La découverte de la Juvabione (ou paper-factor ), par Slama et Williams, extraite du pin baumier, qui agit sur la punaise inoffensive Pyrrhocoris apterus à des doses de l’ordre du microgramme, n’a malheureusement pas eu de suite. Aucune autre substance semblable active contre un ravageur n’a été jusqu’à ce jour découverte.

De toutes ces méthodes, on ne peut dire encore laquelle est appelée au plus grand avenir. Retenons seulement que les recherches de l’entomologie agricole se poursuivent dans toutes les directions. La physique elle-même est appelée à l’aide. N’essaie-t-on pas d’utiliser les forces électrostatiques pour homogénéiser la répartition des insecticides sur les végétaux et diminuer ainsi les quantités à répandre?

De toute façon, les agriculteurs devront toujours composer avec les insectes. Tant que durera notre civilisation scientifique, les entomologistes agricoles devront s’opposer à un ennemi toujours semblable et toujours renouvelé, par des méthodes toujours nouvelles, dans un combat toujours recommencé.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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